Eris • « just give me credit. »

« Mère, calmez-vous. »
« Que je me calme ?! QUE JE ME CALME ?! »
« Ce n’est qu’un mariage après tout. Ils ne concernent que des mortels qui plus est »
« Ce n’est pas une raison ! Je suis une déesse ancienne. Je mérite le respect. »

Eris marchait de long en large dans sa villa obscure. Elle entendait les rires et les chants parvenir jusqu’à ses oreilles agacées. Elle avait droit à un traitement honorable. Elle savait pertinemment pourquoi elle n’avait pas invité. C’était la célébration de l’amour. Et nul ne souhaitait voir la zizanie être semée entre les invités. On invitait le dieu de la vigne et enjoignait les personnes présentes à se repaître de ce délicieux élixir. Ils allaient s’enivrer et faire nombre de choses qu’ils pourraient regretter et qui pourraient porter un sérieux coup à leur renommée. Mais au moins, nulle querelle n’allait voir le jour puisque la déesse de la Discorde, aussi importante, aussi ancienne soit elle, ne viendrait pas. Non invitée, non désirée. Elle en connaissait la formule. Elle avait l’habitude. Elle s’y était même faite. Bien sûr, ce n’était pas de sa faute. Elle était née ainsi. Elle avait vu le jour pour ça. C’était la charge qu’on lui avait imposé. Alors elle faisait le sale boulot et ordonnançait le monde. Et pas à un seul instant, on ne la remerciait. Non, on la mettait de côté, on évitait sa présence, on se dérobait sous son passage. On faisait tout pour ne jamais à avoir à croiser sa route. Et souvent, on la maudissait. On médisait sur son compte. On osait même rire d’elle. Après tout, nulle personne ne la désirait. De telle sorte qu’elle avait été obligée d’enfanter seule. A dire la vérité, la seule personne de qui l’on se moquait plus qu’elle était l’effroyable et cocu Héphaïstos. Et pourtant lui était invité. Mais ne savaient-ils pas que sans elle et sans ses enfants, le monde courrait à sa ruine. Sans guerre dont elle était à la source, ni Athéna, ni Arès ne pourraient démontrer leurs capacités de dieux combattant. Sans haine, point d’amour que la délicieuse Aphrodite et ses marmots ne pourraient insuffler aux mortels. Sans aigreur, impossible pour Hestia et Apollon d’apaiser les tensions de leurs vertus. Sans faim, point de chasse pour qu’Artémis montre l’exemple. Sans vengeance, nulle justice pour que Zeus puisse régir ce monde. Sans serment mortel, l’anarchie la plus totale dans laquelle dieux et immortels se retrouveraient perdus. Elle était indispensable. Ils le savaient mais préféraient l’ignorer.

« Mère revenez à la maison. »
« Une chasse est organisée en Ittaque. Des chasseurs n’attendent que vous pour se disputer la gloire d’une proie. »
Pensive, elle observait le banquet joyeux se déroulait sous ses yeux en son absence, caressant la pomme d’or et l’inscription gravée en elle qu’elle tenait dans sa main.
« Cela n’en vaut pas la peine, Mère. Partons. »
Elle tourna un regard furieux vers Dysnomia. L’avait-elle élevé ainsi ?!
« Cela en vaut toujours la peine. » persifla-t-elle en guise de réponse. Dans le même temps, elle jeta ingénument la pomme par-dessus son épaule qui atterrit en plein milieu de la tablée divine.
« Que fais-tu ici ? » Elle tourna son regard vers Poséidon qui venait d’entrer dans son champ de vision tandis que ses enfants avaient battu retraite dès l’instant où elle les avait remis à sa place. Elle prodigua à son autre neveu un large sourire malicieux dont elle seule avait le secret.
« Je viens juste adresser mes salutations aux jeunes mariés, bien évidemment. »
« Vraiment ? »
« Bien sûr qu’attendais-tu de ma part ? » répondit-elle ingénument.

Le regard soupçonneux du dieu des océans la scrutait mais elle ne laissait rien paraître. Ce n’était qu’une question de minutes après tout. Et pour confirmer son affirmation intérieure, des voix commencèrent à s’élever derrière eux tandis que les musiciens laissaient progressivement la place aux exclamations furieuses. A la plus belle. La guerre de Troie était en marche. Le cortège de morts préparait son départ. Les chagrins et les déchirures qu’elle allait engendrer s’ignoraient encore. Et tout ça parce que l’ego de la Déesse de la discorde avait été froissé. Allaient-ils enfin comprendre ?

«Qui aurait cru ? »

Eris se redressa et posa le regard sur Eros allongé à côté d’elle, en tenue d’Adam comme on dit. Elle lui fit une petite moue avant de se laisser tomber à nouveau dans le lit presqu’aussi dur qu’une planche d’érable. Que les divans romains lui manquaient. Son regard se déporte sur la part de ciel que la chambre de cette auberge découpait. Un ciel gris, morne et insipide. Ils avaient improvisé cette petite escapade et elle commençait à voir où cela la menait. Vers un terrain qu’elle n’appréciait pas réellement. Et le début de conversation qu’avait débuté son divin amant ne faisait qu’accentuer son malaise.

« Qui aurait cru que la mégère se ferait apprivoisée ? »
« Pourtant c’est bien ce que tu as soufflé dans l’oreille de William. »
« Mais je n’aurai jamais pensé que la mégère eut été toi. »
« Ce n’est pas moi. »

Elle se redressa et évita soigneusement le regard qu’elle sentait dardant d’Eros sur son dos. Elle savait parfaitement le visage qu’il devait arborer en cet instant précis. Elle connaissait par cœur ses traits. Son sourire avait dû s’effacer. Ses yeux noirs s’étaient froncés. Et ses traits s’inquiétaient. Avec raison sans doute. Il savait déjà ce qui allait se passer. Ils se connaissaient depuis des millénaires. Pour pouvoir lutter, il fallait bien connaître son ennemi. Et peut être le connaissait-elle un peu trop. Ce qui posait problème en l’occurrence. Elle se racla la gorge et récupérer ses vêtements qu’ils avaient laissé glisser au sol dans leur enfièvrement. Normalement, elle aurait besoin de sa camériste pour l’aider à revêtir ces longues robes compliquées comme le XVIIème siècle aimait tant. Mais, elle n’avait pas amené sa camériste avec elle. Car, c’était juste lui et elle. Lui et elle.

« Je ne peux pas continuer comme ça. »
« Qu’est ce que tu veux dire ? »
« Tu sais parfaitement ce que je veux dire. »

Dehors, le tonnerre gronda tandis que des nuages noirs s’amoncelaient sur la plaine du Gévaudan qui se devinait sous leurs yeux occupés ailleurs, à leur tragédie personnelle. Evidemment qu’il savait ce qu’il se passait. Il devait s’en doutait. Cela allait bien finir par arriver. Ils ignoraient juste quand. Cela faisait plus d’une année qu’ils avaient commencé leur relation contre nature. Comment l’amour et la discorde pouvaient-ils s’entendre ? Des années auparavant, elle avait affirmé que l’amour avait besoin d’elle pour exister, elle se rendait compte aujourd’hui qu’elle avait besoin également d’Eros pour exister. Et cette constatation lui était insupportable. Si insupportable qu’elle devait mettre un terme à cette parenthèse, à ce simple battement de cœur dans leur vie éternelle. Elle souleva ses longs cheveux noirs pour les refaire cascader le long de son dos dans de superbes anglaises.

« Dis-moi que tu me mentais. Dis-moi que tu m’as menti cette nuit. » Il s’était redressé à son tour et ne s’était pas formalisé de sa nudité. Il la maintenait fermement par le poignet. L’amour pouvait être violent parfois, elle le savait. Elle ignorait qu’Eros en était l’instigateur. « Dis-moi que tu ne ressens rien pour moi. »
Elle crispa sa mâchoire et posa son regard bleue dans celui noir enfer d’Eros, son enfer à elle. S’humectant la lèvre inférieure, elle répondit calmement et froidement : « Que veux-tu que je te dise comme mensonge ? Il m’est impossible de tomber amoureuse de l’amour quand je suis ce que je suis. Je t’avais prévenu. Ils t’avaient tous prévenu. Je n’ai jamais cherché ça. J’avais posé des limites dès le départ. Et tu étais au courant. » Elle récupéra sa main et sortit de la chambre, n’adressant pas la moindre attention à la jeune servante, légèrement commère sur les bords, qui avait tout écouté.

Elle ne sut jamais ce qui se passa dans cette chambre tandis qu’elle avait marché dans la campagne alentours, sous la pluie et le mauvais temps. Tandis qu’elle se laissait porter par ses pas, aussi loin possible d’Eros et de ce qu’il représentait. Jusqu’à ce qu’elle croise ce voyageur mortel qui s’arrêta et lui proposa de la conduire à la prochaine auberge afin de se protéger du mauvais temps et du mauvais sort. « Une belle femme comme vous ne devrait pas pleurer et marcher seule un jour de tempête. » Elle avait ouvert la bouche pour lui répondre qu’elle ne pleurait pas, que c’était l’eau du ciel pour ruisseler sur son visage glacé. Mais que voulait-elle dire comme mensonge ?

« Mais je veux bien essayer de changer. » avait-elle amorcé quand Eros lui avait rouvert la porte de la chambre qu’elle avait quittée une heure plus tôt. Et la porte s’était refermée sur la vision de deux corps enlacés et désespérés.

Les cris continuaient de bourdonner à ses oreilles devenues insensibles. La chaleur de la salle l’avait rendu suffocante encore de longue minutes après le départ de la foule en folie. Plutôt que de s’agglutiner dans la fosse avec la masse des spectateurs oscillants entre la gamine de 8 ans accompagnée par sa mère et son oncle semblant au bord du supplice à l’adolescente timide qui révélait tous ses atouts charmes dans l’espoir vain d’attirer l’attention de la raison de sa venue dans ces murs ce soir-là au trentenaire insensible qui tente de retrouver ses vingt ans en se mêlant à une foule toujours désireuse de faire la fête, elle avait observait la scène depuis la mezzanine. Mais contrairement à ce que la majorité des spectateurs pensaient, le spectacle n’était pas sur scène. Du moins pas encore. Tandis que les yeux de tous étaient rivés sur la scène, ceux d’Eris se promenait sur la foule à ses pieds, parfaitement consciente de l’orgie qui se préparait derrière elle dans le carré VIP. Du coin de l’œil, elle remarqua les silhouettes noires et massives des vigiles qui empêchaient les non invités à ne pas pénétrer ses lieux. Dans la foule, une jeune adolescente venait d’envoyer un texto à son petit ami : elle rompait avec lui. Elle venait de se rendre compte qu’il n’était pas l’homme de ses rêves et que ce dernier se trouvait sur scène. Demain, elle regretterait certainement son coup de folie mais trop tard. Pour l’instant, elle se repaissait des déhanchements divins de son idole. Tout comme la déesse s’auto congratulait quand un jeune homme passablement éméché provoqua un autre, gobelet de bière à la main. Elle était pourtant interdite en salle de concert. Qui donc avait pu l’autoriser ce soir ? Un nouveau sourire discret étira ses lèvres pâles lorsqu’elle attrapa du regard la silhouette dégingandée de Paul. Le messager d’Eros semblait quelque peu perdu dans cette foule. Et certainement pas seulement parce qu’il n’avait pas le profil de la population locale. N’avait-il pas encore compris que c’était elle qui gagnerait ce soir ? Que c’était trop tard pour Darwin ? Qu’il l’avait perdu à tout jamais ? Et qu’il était maintenant son jouet à elle ?

« Super concert, les mecs. » Eris roula des yeux en l’air lorsque la voix nasillarde de Peggy Sue, la groupie venue tout droit de son Texas natale pour être la nouvelle Nancy. Lesdits mecs la remercièrent en passant tandis qu’ils se laissaient tomber dans le canapé de la loge, encore électrisé de leur performance scénique. Eris s’humecta les lèvres en observant du coin de l’œil Darwin s’approcher de la chaise face au miroir. Une bouteille de whisky n’attendait que lui. Un miroir plus petit et une poudre blanche également. Il avait beau lui tourner le dos, elle voyait la réflexion de son visage dans la surfasse lisse. Il avait les yeux dans le vague. Il était malheureux, bien loin de la bête de scène de quelques minutes auparavant. Elle aurait pu être touchée et lui laisser du répit juste pour ce soir. Mais il en était hors de question. Elle ne relâcherait pas la prise, même si elle l’avait déjà brisé et qu’il ne restait plus rien à retirer. Plus rien de positif du moins. Mark, le bassiste l’attrapa par la hanche et la fit tomber auprès de lui plantant ses lèvres dans son cou. Elle se laissa faire mais ne détacha pas son regard de Darwin qui l’observait maintenant dans le miroir. Un léger sourire fleurit sur ses lèvres. « Et toi, comment tu nous as trouvé ce soir ? » Ca faisait un bout de temps qu’elle traînait avec eux. Elle s’était envoyé en l’air avec la plupart des musiciens. « Pas mal. » Mark éclata d’un rire gras et se retourna vers son voisin de gauche, le batteur. « T’as entendu ça ? » La plupart seulement. Darwin s’était maintenant retourné à moitié vers eux et l’observait directement, ne souriant pas, approfondissant le regard entre lui et celle dont il ignorait l’origine divine. Celle qui était à l’origine de tous ses ennuis également.

Elle s’approcha de la fenêtre qu’elle ouvrit et observa la cité canadienne se coucher lentement alors que les lumières s’éteignaient progressivement. Elle alluma sa cigarette et souffla une profonde fumée blanche qui s’éleva dans les airs. Il commençait à rafraîchir mais c’était encore l’été indien et le fond de l’air était torride. Elle sentit Darwin se rapprocher. « Et moi ? Comment j’étais ? » lui murmura-t-il dans le creux de l’oreille, ses lèvres frôlant le haut de sa mâchoire de façon incandescente. Elle posa son regard bleu dans le sien et aucune parole ne fut prononcée d’un côté comme de l’autre pendant une longue minute. Derrière eux, des éclats de rire hystérique causés par la poudre magique, une odeur rance et forte d’alcool mêlée à celle désagréable de la sueur. Peggy Sue crevait de jalousie dans son coin, incapable de regarder ailleurs que dans leur direction. Elle n’avait pourtant pas de souci à se faire. Il n’était que son jouet. Un jouet avec lequel elle s’amusait comme elle ne s’était plus amusé depuis des siècles. A côté de ça, ce qu’elle avait vécu avec Arthur Rimbaud était un pétard mouillé. « Pas mal. » répondit-elle en s’éloignant de la fenêtre pour revenir sur le canapé. Leurs corps se frôlèrent par ce simple mouvement et elle sut qu’il avait été à deux doigts de la retenir. Mais ne l’avait pas encore fait. Paul l’avait peut être encore un peu sous sa coupe. Elle se laissa retomber dans les bras de Mark et ce dernier commença à venir titiller sa glotte de sa langue tandis qu’elle observait chacun des mouvements de Darwin. Il s’approcha à son tour de Peggy Sue et cette dernière, ne se sentant plus de joie, lui montra toute sa joie. A la manière texane.

La fille qui s'auto-valide! Tssss...

Et ma décision, elle compte pas???

Bon bien sûr, j'aime, j'adore, je suis fan donc je te VALIDE!!!! Hiiii!

PTDR. Bah attend, on est déesse ou pas.
Merci !!! C'est super gentil. <3